Jouer les polskas de l’ouest du Dalarna par JP Yvert
A mi-chemin entre la recette de cuisine et la théorie musicale, je vous propose quelques exercices et explications rythmiques à propos de ces polskas si bizarres !
Comme toutes les polskas, celles-ci sont à trois temps, et le premier exercice consiste à compter jusqu’à 3, tout en posant le pied O sur les temps 1 et 3 :
Le métronome sera réglé environ sur 96.
Ces polskas sont ternaires, c’est-à-dire que chaque temps est divisé en trois. Le deuxième exercice consiste donc à compter jusqu’à 9 (3 fois 3) en accentuant à la voix les temps 1, 4, 7, et en posant le pied sur 1 et 7.
Le troisième exercice va nous faire travailler une des figures les plus simples de ce genre de rythme. Tout en comptant jusqu’à 9, on frappe dans ses mains 1 3 4 6 7 et 9. Quand le cycle est bien établi, la voix elle-même ne compte plus que 1 3 4 6 7 et 9 et le pied se pose sur 1 et 7. On accélère ensuite jusqu’à la bonne vitesse.
On remarquera que la notation musicale en 9/8 (neuf croches par mesure) est préférable à une notation en 3/4 qui nous obligerait à indiquer à chaque fois qu’il s’agit de triolets.
L’exercice suivant va nous montrer le swing particulier de ces polskas. L’un des temps faibles (3, 6 ou 9) va être frappé en avance et la régularité de la figure précédente sera donc bouleversée. Ici, nous déplacerons le frappé n°6 en 5. Je vous propose, comme exercice, une alternance d’une mesure régulière avec une mesure swing :
Pour consolider Votre acquis, je vous propose tout de suite une série entière de mesure swing :
La figure suivante est le rythme de base de bon nombre de polskas et
springleks de l’ouest du Dalarna. C’est cette figure qu’il faut intégrer
PHYSIQUEMENT pour jouer ces musiques. A partir de la figure n° 5, il “suffit” d’enlever le frappé n° 4. On obtient alors, en début de mesure, quatre intervalles réguliers et le frappé n° 3, temps faible jusqu’à présent, prend le statut de temps fort comme les autres.
J’insiste : il faut sentir ce rythme d’une manière globale, le ressentir comme une entité rythmique. Les musiciens classiques qui s’y risquent, n’y arrivent que lorsqu’ils oublient leur mesure à 3 temps, qui supposerait un appui (même non marqué) sur le frappé n° 4.
Certains collecteurs du début de ce siècle (Einar Övergaards par exemple) ont décrit ce rythme comme un trois temps irrégulier, avec un premier temps très court, un 2éme temps long, et un troisième moyen, ce qui est tout-à-fait exact si l’on considère le frappé n° 3 comme un temps fort :
Les rapports de chaque temps sont exactement 2/9 4/9 3/9. Certains musiciens frappent du pied aussi comme cela :
qui ressemble fort au frappé du 5 temps, ce qui peut nous induire en erreur.
C’est donc bien comme dans une recette de cuisine qu’il faut considérer l’enchaînement des six exercices, que je vous ai proposés et que je rappelle ci-dessous :
Comme en jazz, la notation sur les partitions de collectage est trompeuse : il faut souvent traduire certaines mesures en 3/4 écrites ainsi ♫ ♫ ♫ en mesures à 9/8, soit régulières (fig 3), soit irrégulières (fig 5) quand on a envie qu’elles swinguent. Mais ça, c’est déjà la prochaine leçon !!
En application de ce qui précède, je vous propose cette polska que j’ai apprise de Mats Eden, violoniste du groupe GROUPA.
Les Violonistes travailleront le coup d’archet suivant :
Les pianistes pourront improviser sur la grille d’accord.
Les autres devront adapter leur jeu a tout cela.
Approfondissons encore :
Je vous propose maintenant de comparer deux partitions du même morceau : l’une (fac-similé du manuscrit original), notée en 1897 par Einar Övergaards (I871-1936), l’un des plus importants collecteurs suédois au tournant du 20ème siècle et l’autre, notée en 1987, auprès de musiciens du Dalarna en tournée en France. La notation que j’utilise est un peu différente de celle qu’ils utilisent eux-mêmes (ils notent en 3/4 et mettent des triolets partout, je note directement en 9/8 pour simplifier la graphie)
Ce springlek a été recueilli auprès de Erkgärds Mats Ersson (I850-I933) à Malung, Dalarna. Pour la 1ère partition, i1 faut aussi lire les notes qui s’y rapportent, très importantes pour la suite. On y apprend que le document est classé aux archives sous le n° ULMA II 642 3:1 (en haut à droite, mais on s’en fout un peu). Mais, en-dessous, on peut lire (en suédois…!) : “L’indication 3/4 a été oubliée. Le brouillon est classé ULMA etc. Dans un autre document, classé ULMA xxx, E.Övergaard écrit (et là, on ne s’en fout plus) : C’est vraiment une mesure à 1/2 + 2. Dans cet autre document, il a noté des DO# à la place des DO… etc, etc”
Övergaard s’est longtemps heurté à ces problèmes de notation rythmique des polskas de ces régions. Quand il marque : “C’est une mesure à 1/2 + 2”, il veut dire : “Le premier temps est plus court”. Il n’a, à l’époque, pas d’autres moyens que de nous le dire, soit dans le titre (l’indication Jösshärspolska, Norska, classe directement ce springlek dans la catégorie “rythmes bizarroïdes”), soit en ajoutant quelques mots, soit aussi en notant vraiment en 1/2 + 2. Ce n’est que plus hard qu’il parle de : “trois temps hétérogènes dont les rapports de durée sont 1/2, 1, 3/4.” Un poil de mathématiques, et nous voici avec le même rythme que celui précisément décrit dans le chapitre précédent :
Ouf..! on s’y retrouve enfin !
Quant aux mélodies elles-mêmes, il parle lui aussi, dans un document bien-entendu… classé, (quel ordre, ces Suédois!) de notes “underförstard”, littéralement : sous-entendu. L’extrait ci-dessous (en I/2 + 2), écrit de sa main, reprend trois fois la même ligne avec des hauteurs de notes différentes :
Ce sont, bien sûr, la tierce, 1a sixte, et la septième qui sont affectées de ces presque-quart-de-ton- qui-ne-sont-pas-tout-à-fait-au-milieu .
La vérité est quelque part entre ces trois extraits. Je vous laisse maintenant lire (entre les lignes) et comparer ces deux partitions.
Ah, j‘oubliais : puisque les violons jouent en Ré mineur, il faut un DO-FA pour les accordéonistes.
Jean-Pierre, habitant maintenant en Suède à Gagnef, au sud du lac Siljan dans le Dalarna, à été honoré du titre de Riksspelman en 2016