CD / Finlande / Suède

Critique du CD “Ranarop”, rédigée par Yann Kergunteuil

Ranarop (1997) de Gjallarhorn.
Découvrir Ranarop, le
premier album de Gjallarhorn est un choc. Percussions/didgeridoo
virtuoses, le premier morceau explose, convoquant l’attention.
Prélude sans chaînes, possédé.
Vient ensuite une
interprétation éthérée de Herr
Olof
och
Havsjungfru
, ballade médiévale existant en bien
d’autres versions (Garmarna, Anders Norudde, Kraja…), où se
déploie limpide la maestria du groupe. Hardingfele, fiol,
oktavmandola, didgeridoo, et l’apparition de la voix unique
de Jenny
Wilhems
. Formée dans différentes écoles, dont
l’excellente folkhögskola de Malung dans le Dalarna, elle a
su, comme Emma Härdelin par exemple, s’approprier le répertoire
traditionnel en en proposant une interprétation singulière. Tommy
Mansikka-Aho, Christopher Öhman, David Lillqvist : les autres
musiciens sont tout aussi impressionnants.
Happé, requis, accueilli
aussi. Car bien que froid de prime abord, avec cette couverture de
mer australe, d’un bleu apaisant, l’univers de Gjallarhorn est
bienveillant, alternant cimes norvégiennes, forêts suédoises,
côtes finlandaises. Est-ce la profondeur du didgeridoo, des cordes
sympathiques du violon norvégien, la mandole ténor et ses cordes
doublées en écho ? Ce pays intrigant se découvre.
Complexe pourtant : les arrangements sont d’une maîtrise
étonnante pour un premier album, un morceau léger comme I fjol
bascule et révèle une grande intensité après le court
trall des musiciens ; trois minutes, et l’on doute que
ce morceau n’en soit qu’un, incertain de ce qui vient d’arriver.
Les musiciens viennent de
la région suédophone de Finlande, à l’ouest du pays. Le violon
et le texte sonnent suédois, le hardingfele norvégien. Un concentré
d’âme nordique : on rencontre le norvégien sur l’épuré
Folkesangen, le finnois sur Eldgjald, ainsi
qu’un kulning surréaliste issu du répertoire de Maria Röjås,
annonçant la fin de l’album. Il faut s’arrêter sur
Solbön-Åskan, musique et texte, y découvrir ce mélange de
paganisme et de monothéisme d’une prière paysanne au soleil
voyant l’irruption d’un dieu vengeur : un morceau clef. I
riden så
, humain jusqu’au bord des larmes. Sjöjungfrun och
konungadottern
, magistral : présence de la nature, voix
minérale arrangée jusqu’à se fondre dans la brume. O-vals,
torrent épuisant le même thème, lessivant l’auditeur attentif.
Avec ce premier album,
Gjallarhorn se montre au service, asservi à la musique. Ses quatre
artisans expirent l’art avec exigence, fougue, générosité.
Ranarop fait partie des pépites réinventant une tradition
sans âge. Expérience forte : voyager au nord, où que ce soit
hors des villes, et l’écouter, encore.
Yann
Kergunteuil

Auteur

cmtnscandinavie@gmail.com

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