Tradition et culture

BALLADES NORVEGIENNES

Le Chevalier risquera-t-il sa vie pour une jeune fille ?
D’après un article de Velle Espeland (Listen to Norway n° 1 2001)
Velle ESpeland (1945) est responsable du Norsk
Visearkiv. Il a publié livres et articles sur la culture et
les chansons traditionnelles.
Parmi les chansons traditionnelles les plus anciennes de Norvège, les ballades constituent Ia catégorie la plus cohérente, en termes de forme et de contenu. Plus qu’un air pour la danse, le terme “ballade”s’attache principalement à la narration de contes ou d’évènements épiques, souvent dramatiques et tragiques.
Avec leur style concis, leur langue démodée et des lignes mélodiques inattendues, les ballades pourraient sembler assez inaccessibles aux auditeurs modernes. Mais alors pourquoi des jeunes citadins écoutent-ils aujourd’hui ces longues chansons, parlant de chevaliers, de jeunes filles et d’étranges êtres surnaturels ? Beaucoup prennent même le temps d’apprendre à les chanter, avec leurs mélodies ornementées, leur intonation non définie et Ieurs rythmes inégaux. L’intérét général envers
le Moyen Age constitue une explication ; une autre peut être que ces chansons disent des histoires qui touchent les gens aujourd’hui. Les caractères décrits dans ces ballades ne sont pas des personnages
stéréotypés de conte de fées, mais les gens de chair et de sang avec des émotions fortes. La fin de l’histoire n‘est pas une conclusion inévitable ; les chansons finissent rarement avec : “ils vécurent heureux….”
Néanmoins, elles ont suscité un intérêt grandissant chez un groupe de passionnés. Pendant un siècle et demi, elles ont inspiré les compositeurs, les artistes et les auteurs et ont éveillé Ia curiosité des
chercheurs. Les ballades ont été utilisées et modernisées de multiples façons, mais il existe toujours un réel intérêt pour leur interprétation dans le style traditionnel.
Landstad, collecteur de chansons traditionnelles
Dans les années 1840, un prêtre norvégien, le pasteur M. B. Landstad,collecta de viellles chansons dans Ie Telemark. A cette époque, la Norvège était une jeune nation, en quête d’identité nationale, et d’éléments culturels qui pouvaient exprimer quelque chose d’essentiellement norvégien. La culture traditionnelle populaire convenait bien à cela, et les anciennes ballades constituent un lien avec l’âge d’or de Ia Norvége, à Ia fin du Moyen Age, quand elle avait son propre roi, qui régnait aussi sur l‘Islande, le Groenland, les Iles Orkney et l’Ile de Man.
Au début, le pasteur Landstad n’était pas sûr que les chansons qu’il avait entendues provenaient d’un art populaire ancien, ou étaient simplement une version arrangée des livres de ballades danoises.
Cependant en 1845, lorsqu’il rencontra une servante de 28 ans, Maren Ramskeld et l’entendit chanter Draumkvedet, il fut immédiatement fasciné, certain d’entendre les vestiges d‘une chanson dont les racines remontaient à la pérlode méme du début du Christianisme en Norvège, au 9ème ou 10ème siècle.
Draumkvedet est une chanson qui parle du Ciel, de l‘Enfer, du Purgatoire et du jour du Jugement Dernier ; ces Images s’éloignent clairement du Protestantisme Luthérien. L’édition de draumkvedet, en 1854, suscita un intérêt Immédiat, et dans les années 1890, le professeur Moltke Moe reconstitua la chanson comme il pensait qu’elle fut à l’origine. Depuis, Draumkvedet fut considérée comme une épopée norvégienne nationale, bien que des chercheurs ultérieurs l’aient datée bien plus tard que ne l’avait fait Landstad. Certains d’entre eux ont même affirmé qu’elle était du 17ème siècle.
Malheureusement, Maren Ramskeid ne réalisa jamais l’intérêt que sa chanson avait éveillé ; elle émigra en Amérique en 1852, et ne revint jamais.
Les ballades ne sont pas un genre typiquement norvégien, comme le pensait Landstad. Les ballades nordiques ressemblent étroitement aux ballades anglalses et écossaises, en particulier les ballades enfantines. La similitude est évidente, dans le phrasé et dans le contenu. Une ballade norvégienne, Harpa ou dei to Søstre, est si semblable à Ia ballade écossaise the twa sisters, que Ie chanteur peut commencer sur la ballade norvégienne, passer à l’écossaise, et revenir à Harpa à tout moment, sans dénaturer l’histoire. La ballade Hind Etin ressemble beaucoup à la chanson norvégienne Liti Kjersfl og Bergekongen, tandis que Lady Isabel and the Elf-Knight est la même que Rullemann og Hilleborg en Norvège.
Le rapport avec les ballades françaises et allemandes est aussi évident, mais moins directement que dans le cas des ballades écossaises.
La tradition orale
Nous appelons souvent ces chansons “ballades médiévales”, mais cela ne signifie pas que nous les connaissons dans leur forme médiévale. Au Danemark, des textes originaux du 16ème siècle existent toujours, tandis que le manuscrit norvégien le plus ancien date de 1612. Seule une poignée de chansons date, avec certitude, d’avant 1840, et la plupart des airs ont été notés longtemps après cette période. Néanmoins, nous pensons qu’elles viennent du moyen âge parce que leur contenu est médiéval. Elles évoquent l’amour et la guerre du temps des chevaliers, leur contenu religieux se réfère au catholicisme romain d’avant la Réforme, et celles qui parlent d’événements et de personnages  historiques décrivent des drames de la fin du 13ème et du début du 14ème siècle.
Maren Ramskeid disait au Pasteur Landstad qu’elle avait appris Draumkvedet de son père, qui la tenait de son propre père. La chanson était passée de génération en génération, sans être notée. Quand les histoires et des chansons survivent ainsi dans la tradition orale, elles changent toujours. Des parties du texte sont oubliées et reconstruites, des particularités démodées sont modernisées, de nouvelles mélodies leur sont adaptées et il se crée des variations. Il n’y a plus de forme authentique ou correcte. Le créateur et son travail ont disparu dans les brumes du temps, mais une série de co créateurs a fait vivre la chanson. Cela ne signifie pas nécessairement que l’oeuvre d’art s’est dégradée. Nous avons beaucoup d’exemples de fragments simples de chanson, se développant en des épopées puissantes dans la tradition orale.
Une ballade est un moyen de dire une histoire. Le texte dramatique est la chose la plus importante, et mélodie et forme sont sulbaltemes au récit. Le matériel mélodique peut être extrêmement divers. À côté des anciennes mélodies récitatives, il peut y avoir les mélodies qui sonnent assez modernes. Dans les chansons modernes, la ligne mélodique forme d’habitude une matrice rythmique dans laquelle le texte est inséré. C’est le contraire dans le cas des ballades. La mélodie et le rythme doivent s’adapter au texte, ce qui signifie qu’il peut y avoir des variations rythmiques et mélodiques d’une phrase à l’autre.
Les ballades disent des histoires
Les chercheurs se sont plus intéressés aux textes des ballades. Ils les
ont réparti en six catégories selon leur contenu.
Les ballades du Surnaturel sont des chansons qui évoquent Ia
sorcellerie et Ia magie, l’utilisation magique de runes, la divination, les
présages et les transformations magiques, mais elles parlent aussi
d’êtres surnaturels, de fées, d’elfes, nixies, revenants et autres
créatures des montagnes.
Dans les contes de fées, le héros est toujours triomphant, il tranche la
tête du troll ou du dragon, et gagne la main de la princesse. Dans les
ballades, les choses sont moins simples. Beaucoup d’entre elles disent
des histoires d’amour tragiques, entre des humains et des êtres
surnaturels, d’où les humalns ressortent d’habitude perdants, blessés à
jamais. Dans la ballade Olav Liljekrans, un jeune homme chevauche
pour porter les invitations à son mariage. Dans la forêt, il rencontre une
troupe d’elfes. Leur reine lui demande de danser avec elle, mais il
refuse car il se marie le jour suivant. La reine lui jette donc un sort et il
revient chez lui mourant. Sa mort est cachée à Ia jeune mariée, mais
finalement, elle découvre la vérité et meurt aussi.

Les ballades Légendalres sont aussi des ballades du Surnaturel,
mais les éléments surnaturels sont plus conformes à la foi chrétienne :
pas au christianisme protestant, mals au catholicisme romain d’avant la
Réforme, avec les saints, les martyrs, des miracles et des visions.
Draumkvedet appartient dans ce groupe, bien que ce soit vraiment une
ballade atypique. Sa force réside dans les fortes images visionnaires,
alors que la trame est plus mince que dans la plupart des autres
ballades.
Plusieurs ballades sont basées sur de vieilles légendes sacrées. Elles
peuvent évoquer la Vierge Marie, Saint George et Sainte Catherine, ou
les saints nordiques, Olav et Halvard. II y a aussi des chansons sur des
héros et des martyrs locaux oubliés.
Les ballades Historiques décrivent des événements historiques
connus. La plupart d’entre eux relatent les événements d’importance
nationale.
Margaretavisa évoque une princesse de six ans, Margareta, qui mourut
pendant un voyage en Ecosse en 1290. Le roi d’Ecosse, Alexandre,
venait de mourir, et la petite princesse norvégienne, sa seule
descendante, était en route vers l’Ecosse pour se marier et continuer la
lignée.
La plus populaire des ballades historiques norvégiennes est Falkvor
Lommansson, qui parle de l’enlèvement d’une jeune mariée en 1288. Le
chevalier suédois Falkvor avait enlevé une jeune mariée, et s’était enfui
avec elle à la cour norvégienne de Bergen.
La popularité de cette ballade est probablement due au fait qu’elle
raconte l’histoire d’un enlèvement romantique, mais les sources
historiques lndlquent qu’il s’agissait d’un viol, en rapport avec une lutte
de pouvoir politique.
Les ballades Chevaleresques constituent un groupe de chansons
réalistes, sur la vie contemporaine de la noblesse – ou plutôt la petite
noblesse – avec une préférence pour les événements dramatiques. Bon
nombre de ces ballades proviennent probablement aussi d’événements
historiques, mais dans la plupart des cas, il n’y a aucune source pour
vérifier leur authenticité. C’est pourquoi ces ballades sont placées dans
ce groupe plutôt que dans le précédent.
L’amour a toujours été un thème central pour les auteurs compositeurs
et les diverses formes d’amour représentent le principal motif de ces
ballades. Bien que l’amour heureux soit dépeint dans quelques-unes de
ces ballades, les chansons d’amour tragiques dominent. Ces ballades
n’ont pas peur non plus de traiter des thèmes aussi difficiles que le viol,
l’inceste, l’infidélité et les crimes passionnels. Une des pièces lyriques
d’Edvard Grieg, Solfager og Ormekongen, est inspirée par une ballade
de ce type.
Les ballades Héroïques contiennent des histoires qui ressemblent
plus aux contes de fées. Les héros sont grands et forts, ils attaquent les
ennemis et les trolls, se complaisent dans la bataille et ne craignent pas
la mort. Ce style de chansons est aussi très visuel, avec des images
grandioses et colorées.
Ces ballades, comme les sagas, versent allègrement dans une
exagération excessive, et beaucoup d’entre elles sont étroitement
apparentées au groupe de sagas islandaises, le fornaldar sogur, qui
relate des histoires romantiques et fantastiques. Ce groupe est le plus
spécifiquement nordique parmi toutes les ballades. Alors que les autres
groupes ont des équivalents dans toute l’Europe, ce groupe existe
seulement dans la sphère nordique.
Les ballades et les épopées sur Roland, et sa bataille courageuse contre
les Maures, existent dans beaucoup de pays européens. La ballade
norvégienne Roland og Magnus Kongjen raconte cette histoire célèbre
dans le style des ballades héroïques. A la bataille de Roncevaux, Roland
attaque les Maures, les abat comme un moissonneur avec une faux
acérée, pendant que la vapeur du sang des soldats abattus projette des
ombres sur le champ de bataille.

Les ballades Facétieuses constituent le dernier groupe. Ces ballades
étaient extrêmement populaires parmi les gens du peuple, mais alors
que leur humour était souvent parodique et crûment érotique, elles
furent fréquemment négligées par les chercheurs qui ont collecté les
ballades dans les années 1800, car elles ne contribuaient pas à la
promotion de l’identité nationale. Beaucoup de ces chansons tournent
en dérision les rapports entre les sexes, souvent en inversant les rôles.
La ballade Ungersvenn pä tinget en est un exemple typique, qui parle
d‘une femme agressive et forte, qui viole un homme. Le lendemain
matin, il va à la cour pour essayer de la faire punir, mais il est tourné en ridicule.
Un groupe de ballades facétieuses concerne les animaux. Dans
Krâkevisa, l’humour réside dans la description d’un corbeau
déraisonnablement grand . Les ballades animales ont un humour naïf qui plaît toujours aux enfants.
Traditionnellement, les ballades étaient interprétées en solo, sans
aucune forme d’accompagnement. Dans les années 60 et 70, il se
forma des groupes comprenant chanteurs, et instrumentistes. Ces
dernières années, on prit aussi l’habitude d’interpréter les ballades avec
un accompagnement d’instruments médiévaux.
Les interprètes contemporains
Agnès Buen Garnâs (1946) est une des interprètes majeures de la
chanson traditionnelle. Elle vient d’une famille, avec des traditions
musicales fortes, et chante depuis son enfance. Ici une vidéo à la télé norvégienne.

Øyonn Groven Myhren (1969)est une spécialiste des ballades ,
elle s’accompagne d’une lyre, elle a obtenu de nombreux prix .
Elle joue aussi de la  seljefløyte (flute harmonique )


Kirsten Brâten Berg (1950) chante dans la tradition du Setesdal. Toutes

les deux, Agnès Buen Garnâs et Kirsten Brâten Berg, ont aussi
enregistré avec des musiciens de jazz, Jan Garbarek et Arild Andersen.
Tone Hulbækmo (1957), qui vient de Qsterdalen, a commencé par la
chanson traditionnelle, puis elle a étendu ses talents pour couvrir un
répertoire plus large. Kalenda Maya, le groupe, dont elle est membre,
joue de Ia muslque médiévale, et s’est appuyé sur cette expérience
pour faire un album de ballades norvégiennes.
Sinikka Langeland (1961) appartient à la jeune génération de chanteurs
traditionnels. De mère finlandaise (elle vient d’une partie de Ia Norvége
où il y avait beaucoup d’immigrants finlandais), elle joue du kantele,
mais est plus étroitement liée à la tradition vocale norvégienne.
Curieusement, la plupart des chanteurs traditionnels sont des femmes.

Arve Moen Bergset est une des exceptions. Il appartient à la jeune
génération, et a enregistré son premier album de solo alors qu’il était
encore un enfant. Halvor Hâkenes est un autre jeune chanteur de talent.

Un lien interessant .
Discographie :
 Agnès Buen Garnås et Jan Garbarek, Rosensfole. Kirkelig
kulturverksted FXCD 83.1989
Ballades traditionnelles avec un accompagnement jazz de Jan Garbarek   extrait

Agnès Buen Gamås, Draumkvedet.
Kirkelig kulturverkuted FXCD 50 (1992)
Draumkvedet est si long qu‘il a besoin d’un CD entier.
 Kirsten Brâten Berg, Min kvedarlund.
Heilo HCD 7087 (1993)
Ballades et autres chansons traditionnelles. Commentaire en anglais.
 Arild Andersen et Kirsten Bråten Berg, Arv. Kirkelig kulturverksted
FXCD 133 (1994)
Ballades et d’autres chansons traditionnelles arrangées par Arild
Andersen.
Tone Hulbaekmo Kalenda Maya, Norske middelalderballader des
Ballades nordiques Kirkelig kulturverksted FXCD 82.1989 Une
compilation représentative de ballades, accompagnées par des
instruments médiévaux. Commentaires en anglais, mais les textes n’ont
pas été traduits.
 Aurora borealis, Harpa. Grappa GRCD 4132 (1997)
Sur ce disque, on peut entendre des versions nordiques de la ballade
Harpa, et une version anglaise. Les chansons sont accompagnées par
des instruments médiévaux. Commentaires en anglais, textes non
traduits.
 Det syng ! Ballader pâ vandring.Grappa GRCD 4123 (1997)
Cinq excellents chanteurs interprètent des ballades et d’autres chansons
traditionnelles. Textes uniquement en norvégien.
 Sinikka Langeland, Strengen var av rode geld, Middelalderballader
fra Solar. Grappa GRCD 4136 (1997)
Ballades dans le style traditionnel, sans accompagnement.
Commentaires en anglais.
 Sinikka Langeland, Lille Rosa Kjaerllghetsballader.
Grappa GRCD 4170 (2000)
Chansons d’amour, dans le style traditionnel, accompagné au kantele
finlandais. Commentaires en anglais.

 Øyonn Groven Myhren, Gulveven ,elle était au festival Notes polaires à Genève pour un très beau concert dimanche 1er mars .


Et aussi Benedicte Maurseth avec “tidekverv” un magnifique CD qu’on peut acheter chez Grappa comme les CD précédents.Ne prenez pas peur, les prix sont en couronne norvégienne,139KR=14€.
Benedicte Maurseth, Berit Opheim, Rolf Lislevand, Håkon Mørch Stene 

Kj​æ​re min maur : un super Cd des Kjorstad Brothers à acheter ici





Cet article de Jacques Leininger est paru dans le numéro 58 du bulletin du CMTN en 2003 .J’ai pensé rééditer cet article très bien fait sur un aspect de la musique norvégienne qu’on connait moins mais néanmoins interessante et en ces temps de confinement on a le temps de lire un peu plus .




Auteur

cmtnscandinavie@gmail.com

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